L'adaptation cinématographique de Tintin par Steven Spielberg sort ce mercredi. Crédit © Sony Pictures Releasing France
Dans l'Alph'art,
dernier album inachevé de Hergé, un personnage menace Tintin et lui
lance : « Votre cadavre figurera dans un musée ! ». Hergé avait donc
tout prévu : les discoureurs, les analyses, les commentateurs . Et même Spielberg.
Les anglo-saxons attendaient sans doute le right time
pour lancer le retour de Tintin parmi nous. Leur rendu fait voir les
veines sous la peau du nez et des tempes des personnage, caricatures
atroces qu'Arcimboldo n'aurait pas renié. Il fallait un mauvais
goût solidement amerloque pour faire des figurines délicates de Hergé
rien d'autre qu'un patron pêcheur barbu bubonique et un galopin bouffi.
Essayons d'oublier que les pauvres personnages de Hergé avaient déjà eu droit à leur déformation télévisuelle dans les Bijoux de la Castafiore.
Qu'en outre Hergé avait précisément réussi là où Steven Spielberg et
Peter Jackson, avec leur technique lourdaude, sont certains d'échouer :
la capture du mouvement (motion capture).
Décollons
le nez à la fois de la ligne claire et de la salle obscure. Cette
résurrection de Tintin au cinéma mérite éclaircissement. Tournons-nous
vers les structures profondes. Dans la mythologie, « l'enfant éternel »
est une figure à trois faces : être capricieux qui ne veut pas
grandir ; vieillard ; vrai renouveau.
L'univers de Tintin trop « attachant » : avec Tintin, on ne veut pas grandir
Certes,
l'univers de Tintin, à l'exemple des "brownings", dont Hergé équipe
invariablement ses gangsters, est attachant, comme les films d'Audiard,
comme les vieilles mappemondes, comme le Picon-bière, le jambon-beurre
et les vinyls de jazz. Mais lassant et ringard à la longue et au premier
degré.
Surtout, toujours occupé à
libérer Haddock des griffes de la Castafiore, Tchang du yéti, Tournesol
des Bordures, Tintin incarne une puérilité émancipatrice bien de chez
nous : l'idée fantasmatique que l'on est prisonnier, objet d'une
aliénation, et que quelqu'un va venir briser nos liens, fût-ce
contre notre gré, pour notre bien. Il faut que les autres peuples
« apprennent la liberté », dit-on aujourd'hui, sottement, à propos des
Libyens. Bref : si nous sommes "attachés" à Tintin-le-libérateur, c'est
bel et bien que notre Abdallah intérieur nous joue un tour capricieux et
nous ligote fermement au passé.
Information, indignation, institution : Tintin le noble vieillard
Tintin
est journaliste : le métier du XXe siècle, qui fut le siècle de la
géopolitique, science "informe" par excellence, où notre bonne
conscience tient au degré dont elle est "informée" des grands conflits,
des grands trafics, des grandes injustices.
Les
valeurs de Tintin sont ces valeurs que l'Occident a porté ailleurs,
colonisant par et pour la civilisation, la liberté, la paix.
Comme le Christ, il sauve son prochain, y compris de dangers spirituels
puisque, comme le souligne Hervé Gattégno, son miracle est également de
faire des personnages secondaires "des héros qui s'ignoraient" ). L'"indignation" dont on fait beaucoup de cas aujourd'hui est celle de Tintin, déjà (gare à ses froncements de sourcils) !
Et
puis, Tintin est belge. Reconnaîtrait-il aujourd'hui sa Belgique, à
l'image des « institutions » Européennes, lieu de faille et de faillite,
empêtrée, menottée à elle-même comme les Dupondt, vieux garçons
éternels (comme à l'accoutumée) qu'une chute étourdie finit par ramener
l'un à l'autre, bien malgré eux, "radeau de la méduse" plus que fière
Licorne ?
Tintin ou le reflet de l'Occident en quête de résurrection
On a beau dire : Tintin
est jeune (ce que n'a jamais été Astérix "encore célibataire, à son
âge", disent les commères gauloises) et il a l'énergie de l'action :
c'est un anti-Gaston Lagaffe (l'anti-héros écolo qui paresse au
boulot, beaucoup plus en phase avec l'esprit du temps, soit dit en
passant !). Il n'est donc pas exclu que Tintin exprime, simultanément,
le besoin d'un dieu-enfant, confiant et plein d'initiative. Derrière la vitrine vieillotte reconstituée par Spielberg, Tintin incarnerait nos attentes de résurrection. Cela est un motif d'espoir en soi.
Les
générations à venir finiront par ne plus se reconnaître dans ce
progressiste en culottes coincé. Tintin cohabite déjà avec d'autres
figures (Harry Potter, etc.) qui le concurrencent et en prennent la
place. Destin tragi-comique que le retour du boy-scout candide et
crispant. Lui qui, à l'étonnement toujours renouvelé de son créateur,
faisait rêver les enfants du monde entier, nous aidera-t-il à rêver et
imaginer encore ? Ou est-il un rêve fatigué, le rêve de nos grand-pères,
comme lui nés en 1929 ; une photo dont le souvenir nous hante d'autant
plus fort que les couleurs sont, justement, « passées » ? Tintin,
signe d'un Occident-Titan dont la hantise est de tomber au creux de la
vague, sidéré par le dynamisme olympien du reste du monde ?
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