Le 14 septembre, sortira en salles le nouveau film de Laurent Bouhnik : Q.
Plus un grand cri d'amour qu'une simple histoire de fesses, ce Q
questionne notre société et le système de financement du cinéma
français. Passage en revue en compagnie de son auteur. Indigné, mais pas
résigné pour autant.
La censure

Aujourd'hui,
il s'agit d'une censure insidieuse, perverse, c'est plus un état
d'esprit. Les salles et Facebook ont censuré l'affiche. Juste au niveau
de l'image, c'est-à-dire que voir un homme entre les jambes d'une femme,
ça passe pas, ça n'existe pas. Et puis, un homme à genou devant une
femme, c'est intolérable.
(rires) Donc ça, c'est déjà censuré.
Ensuite, il y a la censure perverse. Par exemple, quand on est venu
demander l'aide à l'écriture, j'étais même pas assis que le type me dit :
«Bouhnik alors, vous allez faire un porno ?» Rien qu'à ce moment-là, j'étais assis, mais je savais que je n'avais rien.
L'être humain

On
sera présent sur une trentaine de salles. Au départ, on avait dix
salles, puis on a triplé. Des réseaux d'ailleurs très commerciaux, ce
qui est plutôt étonnant. Mais par contre les grands groupes refusent.
L'un d'eux a sorti comme argument qu'il risquait d'y avoir des viols
dans la salle. Moi, je fais des films pour révéler l'être humain. Et
rien qu'avant sa sortie, c'est révélateur et j'ai déjà réussi. J'ai
révélé des choses qui montrent que l'homme est un animal dénaturé, qui
est incapable de se regarder en face, qui est incapable d'assumer sa
sexualité, et il y a aussi dans le film une critique sociale très forte
et ça ne m'étonne pas que la société va dans le mur. Parce que c'est
l'incapacité de l'homme de se comporter comme un homme, d'avouer ce
qu'il est, avec ses désirs, ses plaisirs, son animalité.
Un film d'amour

Pour moi, il y a quelque chose dans
Q
qui existe déjà dans mes films précédents, c'est qu'entre le tangible
et l'intangible, il y a quelque chose de plus fort, c'est l'intangible,
c'est le sentiment, c'est quelque chose qui perdure. La société a beau
se dégrader, ce qui peut unir les gens et les renforcer, c'est justement
ce lien, cet intangible qui fait qu'on se reconnait et on va se
soutenir et s'aimer. Donc c'est plutôt un message positif. S'il y avait
eu un esprit pervers sur ce film, ça aurait été impossible de le faire.
Ce film est un film d'amour. Je n'ai jamais vécu ça. Pour moi,
Q,
c'est mon premier film lumineux, qui va vers la lumière en tous cas. On
abandonne la mort pour aller vers la vie, tout en sachant que ça va
être difficile. Et je n'aurais jamais pu avoir ce que j'ai eu si je
n'avais pas rencontré des gens extraordinaires, tant au niveau des
acteurs et actrices qu'au niveau de l'équipe et du producteur. Il s'est
passé sur ce film-là quelque chose de l'ordre de la magie qui me
dépassait. On m'a traité d'illuminé pour ça, mais j'assume. La vie c'est
aussi de la magie.
Film de guerre

Etrangement, il y a un certain type de public et le métier qui positionnent
Q
comme un film de guerre, parce que c'est une guerre qui est en train de
se passer actuellement. C'est à dire que le plus petit budget du cinéma
français fait trembler toute la distribution française. C'est une
guerre, ça, je ne me fais pas aimer. Déjà que je n'étais pas vraiment
aimé, mais là je pense que je me fais détester. Je crois que le budget
qui a été alloué à AlloCiné est de 2000€ alors que je pense que pour les
autres, ça doit être dans les 200 000€, voire beaucoup plus, donc c'est
assez amusant. Ils ne doivent pas trop aimer. En plus, par rapport au
métier où j'ai été refusé de tous les côtés, là c'est moi qui leur pose
des questions :
«vous n'avez pas l'impression de vous planter ?»
Ce film est refusé par tous, et pourtant il y a une véritable demande
du public, c'est étonnant. Mais bon, il ne faut pas se leurrer non plus,
on ne part pas gagnant. Pour moi, c'est la plus petite sortie que j'ai
jamais faite sur tous mes films.
Le sexe et la morale

C'était
très compliqué l'écriture, parce que quand on touche au sexe, on a beau
écrire avec une certaine distance, il y a bien à un moment donné où on
peut être excité par ce qu'on écrit et la difficulté était de savoir si
mon excitation était d'ordre sexué ou intellectuel par rapport à ce que
je voulais dire. En gros, lorsqu'on touche au sexe, évidemment, il y a
une part animale qui intervient et il fallait que j'arrive à me
distancer de ça pour pouvoir écrire exactement ce que je désirais
écrire, trouver le sens, souligner le sens de ce que je voulais faire.
En gros, tout s'est dénoué le jour où j'ai compris que ce qui empêchait
aussi l'acte sexuel non simulé, c'était la morale. Et là j'ai compris
que j'étais un être conditionné. Là, j'ai vraiment fait acte de création
sans plus aucun poids. Il faut des années pour s'en défaire, c'est y
réfléchir, se rendre compte de ce qu'on est. Nous ne sommes que des
êtres conditionnés. Pour vivre ensemble, nous nous auto-conditionnons.
Et moi, j'arrive, petit Français d'origine tunisienne et je fous tout en
l'air. Et évidemment, il y a des personnes qui apprécient ce que je
fais, mais je suis persuadé que la majorité refusera de réfléchir à ce
que nous sommes, où nous sommes et comment nous sommes conditionnés.
Hommes, femmes

J'aime
les femmes, même s'il y eu des moments extrêmement difficiles, comme
tout le monde. J'ai jamais compris cette différenciation de races entre
guillemets entre l'homme et la femme. Quand je suis tombé sur Simone de Beauvoir qui disait
«La
dispute durera tant que les hommes et les femmes ne se reconnaîtront
pas comme des semblables, c’est-à-dire tant que se perpétuera la
féminité en tant que telle», moi je le ressentais avant de le lire.
Pour moi c'était important de remettre l'homme à sa place, donc
simplement être du côté des femmes et donner la parole aux femmes, mais
toutes paroles. Pour le personnage de Cécile, je me suis inspiré d'une
amie, qui a cette même force en elle. C'est pas tant ce qu'elle vit dans
le film, mais c'est cette force de vie qu'elle a et par rapport à la
vie, par rapport au sexe, par rapport à ses sentiments et qui est
capable d'assumer à un moment donné ses sentiments. Quitte à se brûler
les ailes. Que ça marche ou pas, on n'en sait rien.
La liberté

Oui, il y a un message libertaire dans
Q.
Aujourd'hui, il n'y a qu'à voir la société. Je considère que les vieux,
c'est la prison et les jeunes la liberté. Parce que les jeunes ont la
liberté d'essayer, de tenter, de rêver, de se tromper. Les vieux sont
soit-disant la raison. Mais c'est pas la raison, c'est la prison. Moi je
dis aux jeunes : les vieux, ils savent rien, ils savent pas plus que
vous, ils vous font croire qu'ils savent, mais rien du tout. Mais là, ça
serait risible s'il n'y avait pas autant de gens au chômage qui payent
les conneries de leurs aînés. Là, ça fait quand même la sixième crise et
on va continuer à payer. Moi j'appelle ça des trous du cul de
politiciens et d'économistes qui vont vous expliquer à chaque fois
«alors voilà».
Mais ils savent rien du tout, que dalle, c'est hyper flippant, mais
c'est la réalité. C'est à dire que personne ne sait rien et on fait
croire aux jeunes qu'il faut être comme ça. Et moi je leur dis, non,
non, soyez vous-mêmes, ce sera vachement mieux, pour votre tête déjà,
parce que là, c'est la preuve de la connerie humaine. Moi mon rôle
d'artiste, c'est de tout bousculer. On me demande d'être réalisateur de
cinéma, moi je revendique le fait d'être cinéaste, ce qui n'a rien à
voir. Je fais un travail qui est projeté dans une salle de cinéma et en
tant qu'artiste, c'est une nouvelle notion que je revendique, c'est la
notion d'artiste, c'est à dire d'avoir un regard personnel, intime sur
le monde. Après, je n'oblige personne à adhérer cette vision, mais je
revendique cette vision.
Jusqu'au bout

Il y a eu un génie dans le cinéma, c'est Orson Welles. 23 ans,
Citizen Kane,
OK. C'est le génie. Moi il m'a fallu beaucoup de temps. J'ai mon petit
piano et je fais mes petites gammes petit à petit. Je suis totalement
accompli. Je ne me suis jamais trahi. Même sur
L'invité,
je ne me suis pas trahi, c'est juste que je ne connais pas le film.
Mais sinon, je suis très heureux d'avoir fait les films que j'ai faits.
Il y a peu de gens sur terre qui peuvent dire
«j'ai fait tout ce que j'ai voulu».
Là, je le dis. Après, malheureusement, je l'ai payé cher, je le paye
cher, mais je l'ai choisi, donc j'assume et tout va bien. Sur
Zonzon,
la dernière mouture du scénario, je l'ai écrite en 160 heures non stop,
ça fait 7 nuits sans dormir une seconde. Toute ma vie cinématographique
est liée à ce combat contre moi-même. Mais maintenant j'assume, pas de
problème. Si ça m'avait déplu, je l'aurais pas fait. Mais là,
sincèrement, après ce film-là, j'aimerais juste me reposer un peu. Là,
je suis au bout du rouleau, j'ai des étourdissements... Cette année,
j'ai failli crever deux fois, donc c'est bon, faut que j'arrête un peu,
faut que je respire un peu. Franchement, j'ai toujours eu l'idée de
faire les choses jusqu'au bout et là, je suis vraiment au bout. Sinon,
je crève. J'ai des enfants, j'aime une femme, j'ai envie de vivre un
peu, quoi.
Par Laure Croiset (14/09/2011 à 10h35)
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